samedi 24 mars 2012

Préservons notre Cour Européenne des Droits de l'Homme



Le bâtiment de la Cour, à Strasbourg

La Gande-Bretagne de David Cameron sera à la Présidence (dite "tournante") du Conseil de l'Europe pour les six mois à venir. La réforme est annoncée. Elle est nécessaire, personne ne le nie. En effet, la Cour européenne des Droits de l'Homme subit un engorgement depuis plusieurs années (environ 150 000 requêtes sont en attente aujourd'hui) et il faut envisager des solutions, plus efficientes que les mesures d’irrecevabilité des requêtes et les changements d'ordre structurels ( instauration d'un juge unique) pris en mai 2004 avec l'adoption du Protocole additionnel numéro 14.


David Cameron veut que la Cour cesse de "contrôler les décisions nationales n'ayant pas besoin de l'être et qu'elle ne traite plus que des violations les plus graves" et souhaite que "chaque État dispose d'une marge d'appréciation considérable en matière d'application et de mise en œuvre de la Convention. Cela traduit le fait que les autorités nationales sont en principe les mieux placées pour appliquer les droits prévus par la Convention dans le contexte national ". Ceci n'est pas nouveau puisque la marge d'appréciation des États existe déjà selon la jurisprudence de la Cour. Il ne faut cependant pas oublier que cette marge nationale d’appréciation va de pair avec un contrôle européen (7 décembre 1976 Handyse c. Royaume-Uni) car ce sont les 47 juges qui détiennent l'interprétation "officielle" de la Convention . Ne pas non plus omettre, comme le dit bien le Président de la Cour M.Bratza  que « si les droits et libertés conventionnels sont pleinement protégés au niveau national et si des mécanismes effectifs à même de permettre la réparation de leurs violations sont mis en place au sein des systèmes juridiques internes, la Cour n’aura ensuite que très peu à faire ». Le nombre élevé de condamnations ne démontre pas cette protection exhaustive des Droits fondamentaux sur les territoires des 47 pays membres. 

D'autre part, la requête du voyageur qui réclamait 90 euros à une compagnie de bus pour un trajet entre Bucarest-Madrid pour le non-respect des conditions de sécurité et de confort décrites dans l'offre publicitaire fut utilisé par le Premier Ministre britannique pour moquer les excès que peuvent présenter certaines requêtes ( requête no 36659/04 du 1er octobre 2004) . Nous sommes bien en présence d'une  requête irrecevable, et c'est bien ce que la Cour a dit dans sa décision de rejet. Mais pourquoi cet exemple tirés du fond des tiroirs des greffes de Strasbourg? Le rôle de la Cour européenne des Droits de l'Homme est de protéger les violations de la Convention de la part des États membres, dont la Grande Bretagne, condamnée au même titre que les autres pays pour la violation de cette Convention. N'oublions jamais, avant de chercher à la décrédibiliser, que l'intervention de la Cour fut primordiale pour les changements du Droit interne de tous les pays membres du Conseil de l'Europe pour  se conformer à la protection des libertés fondamentales. Ce fut le cas récemment en France ( condamnée en tout 23 fois en 2011) en ce qui concerne la garde à vue, après les condamnations de l’État dans l'affaire Brusco contre France du 14 octobre 2010 (violation de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention).

"Préserver la protection des droits et libertés fondamentaux de 800 millions de citoyens européens"


Au final, le projet de réforme tend à réduire significativement les pouvoirs de la Cour, par exemple en imposant qu'elle devra nécessairement déclarer que la juridiction nationale a commis une « erreur manifeste » si elle souhaite se saisir de l’affaire au fond . Cela viendrait à faire un pas en arrière en matière de garantie des libertés fondamentales sur notre Continent et générer de nouveaux conflits avec les tribunaux nationaux . Les britanniques se trouverait "entre souhait explicite d’amélioration du fonctionnement  et désir implicite de réduction des pouvoirs de la Cour". Tout le monde sait qu'elle "dérange" outre-Manche, plus encore depuis que la Cour s'est opposée le 17 janvier dernier à l'extradition d'un islamiste en Jordanie parce que des preuves obtenues sous la torture pouvaient être retenues contre lui et que cela malmenait son droit à un procès équitable.

Et pourquoi pas plus des ressources pour permettre à la Cour d'améliorer son fonctionnement? Il faut rappeler que la Cour est financée par les États membres. D'où l'expression "donner le bâton pour se faire battre" : les États financent leurs propres condamnations, et rechignent à augmenter leurs contributions.  Dans un avis préliminaire de la Cour établi en vue de la Conférence de Brighton, les juges signalèrent que l'équilibre entre les affaires reçues et traitées,en plus des efforts qu'arrive à fournir la Cour, "dépendra de l’obtention de ressources supplémentaires au greffe, par exemple sous la forme de détachements temporaires d’agents des États parties." En cette période de crise, les États seront peu disposés à financer les surcoûts qu'engendreront l'institution. Il est impératif de faire cet effort pour préserver cette création qui a permis tant d'avancées pour nos libertés et qui est reconnue sur le plan international, mais aussi et surtout avec la perspective d'adhésion de l'Union Européenne au Conseil de l'Europe qui permettra d'améliorer la collaboration entre la Cour européenne des Droits de l'Homme et la Cour de Justice de l'Union Européenne.

La réforme sera débattue par  l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe qui tranchera dans la session du 23 au 27 avril. Les 47 Pays devront la ratifier avant son entrée en vigueur, ce qui put prendre un certain temps. Dans tous les cas, espérons que la CEDH, moteur pour les démocraties d'Europe, gardera les moyens juridiques et structurels pour mener à bien sa mission : la protection des droits et libertés fondamentaux de 800 millions de citoyens européens.




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