Violences psychologiques: le ciment de la violence conjugale.

Il n'y a pas que les coups qui font mal, il y a aussi les mots. Les violences faites aux femmes ne sont pas seulement physiques, elles sont aussi, et avant tout, psychologiques. Une femme est rarement tuée par son compagnon ou ex-compagnon sans qu’aucune violence antérieure n’ait été signalée, comme les coups, mais aussi les insultes, injures ou autres formes de harcèlement moral .

J'ai découvert il y à quelques temps l'importance de cet élément psychologique en m'intéressant au thème de la prévention et de la  lutte contre les violences faites aux femmes; thème déclaré en 2010  "Grande cause nationale" par François Fillon, actuel Premier Ministre. J'ai trouvé naturel de laisser la parole à celle qui n’a cessé de se battre pour que la violence psychologique soit prise en compte dans les textes de lois et devienne un délit. 

C'est avec la plus grande gentillesse que Maître Mellul-Frambourt, avocate au barreau de Paris, a accepté de répondre à mes questions. Elle est spécialiste de la lutte contre les violences psychologiques qui surgissent dans la sphère privée, la quasi-totalité de ces violences étant perpétrées sur des femmes. Élue Femme de l'année 2010 par le site internet du magazine "marie claire" il y a tout juste un an, elle a fait preuve d'une grande disponibilité pour nous éclairer sur ce thème, montrant encore une fois sa détermination et son combat pour que soient prises en compte ces violences faites aux femmes au sein de notre société. Interview.

Chroniques des Droits:   Merci d’avoir accepté de participer à cette interview. Avant de commencer pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? 

Maître Mellul-Frambourt:  Je suis avocate spécialisée dans la défense des femmes victimes de toutes formes de violences.Je me suis battue pendant de nombreuses années pour la création du délit de violence conjugale à caractère psychologique qui a finalement vu le jour dans le cadre de la Loi du 9 juillet 2010.

J’ai été à l’initiative de la création de ce délit à une époque où la violence psychologique était totalement méconnue, voire méprisée.

C.D.D: Qu’est-ce qui vous a décidé à vous impliquer de cette manière ?

Maître Mellul-Frambourt: Ce qui m’a décidé à m’impliquer de manière aussi combative et active, c’est que d’une part, j’ai moi-même été victime de cette destruction psychique, et que d’autre part, dans le cadre de la défense de mes dossiers, j’ai pu contacter à quel point la violence psychologique était occultée par les magistrats, les policiers, et en fait par la totalité de l’appareil judiciaire. Les violences psychologiques n’étaient pas considérées comme des violences à part entière. Il fallait pour que les violences soient constituées qu’elles se matérialisent par des violences physiques visibles.

"Les magistrats rencontraient d’énormes difficultés à définir ce concept extrêmement complexe qu’est la violence psychologique" 

 

 

C.D.D: Quel est l’état du droit français sur les violences faites aux femmes?

Maître Mellul-Frambourt: Le délit de violence conjugale à caractère psychologique a été créée par la Loi du 9 juillet 2010 et mis en application le 1^er octobre 2010.

C.D.D: Quelles sont les évolutions que vous pensez encore nécessaires après l’inscription du délit de violences  psychologiques  dans  la loi du 9 juillet 2010, dont vous avez été l’initiatrice?

Maître Mellul-Frambourt: L’évolution indispensable pour que ce délit puisse être correctement appliqué et applicable, consiste en sa définition dans ses éléments constitutifs. J’avais écrit un article « Lettre ouverte à Mesdames et Messieurs les Députés » à l’époque où la proposition de loi repassait à l’Assemblée pour démontrer à quel point le fait que le délit ne soit pas défini dans ses éléments constitutifs était inconstitutionnel. En effet, il incombe au législateur et au non au magistrat de définir les délits, et ce, dans un souci de clarté. Or, aujourd’hui, il est demandé aux magistrats, alors même qu’il n’en va pas de leur mission de définir ce qu’est la violence psychologique.

J’ai effectué une formation à l’Ecole Normale de la Magistrature au mois de décembre 2011 ; et j’ai pu constater qu’effectivement les magistrats rencontraient d’énormes difficultés à définir ce concept extrêmement complexe qu’est la violence psychologique.

Une avocate déterminée

C’est dans ce contexte, que nous avons décidé, une amie le Docteur Nassera Butin, neuro-psychiatre et moi-même d’organiser des groupes de paroles pour les victimes ainsi que des séminaires ou formations pour les professionnels de la santé, justice, social, police, gendarmerie, et autres acteurs impliqués, et ce dans le cadre d’une approche intégrée.L’essentiel de l’évolution au regard d’une meilleure application du délit est d’une part une formation des professionnels, et d’autre part, le dépôt d’un amendement pour définir les éléments constitutifs de ce délit (action pour laquelle je me suis battue depuis le début de mon action).

C.D.D:  La violence des mots est-elle, selon vous, aussi importante que celle des coups ? 

Maître Mellul-Frambourt: La violence psychologique est aussi importante que la violence des mots. Les conséquences traumatiques pour ces victimes sont encore plus dramatiques. Elles conduisent souvent, malheureusement au suicide des victimes. J’en profite pour vous informer que pour la première fois, dans le monde, j’ai déposé une plainte pour violence involontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Deux enfants (âgés entre 25 et 30 ans) sont venus me consulter afin de me raconter leur histoire: leur mère s’est remariée avec un manipulateur. Elle a subi des violences psychologiques qui l’ont conduit au suicide après 10 années de souffrance. Lorsqu’elle a été accueillie au service des urgences, alors même qu’elle était encore consciente, elle a invoqué toutes les violences psychologiques qu’elle avait subies. Ce qui m’a permis de faire le lien de causalité entre les violences subies et le suicide. L’instruction est ouverte. C’est à mettre en rapport avec la notion de « suicide forcé » du Conseil de l’Europe, pour laquelle je me bats également afin qu’elle soit reconnue.

"L’avocat doit faire prendre conscience à sa cliente qu’elle est une victime"

C.D.D: Quel  rôle peut jouer  l’avocat quand il est mis au courant de ces violences, notamment à l’occasion d’une procédure de divorce ou d’une simple consultation avec sa cliente? Comment peut-on prouver  que cette femme est victime de ce type de violence ?

Maître Mellul-Frambourt: L’avocat joue un rôle fondamental. Je rencontre de trop nombreuses victimes qui m’indiquent que leur ancien avocat ne veut pas invoquer les violences car ce sont des dossiers trop compliqués. L’avocat doit faire prendre conscience à sa cliente qu’elle est une victime et qu’il est toujours possible d’apporter la preuve des violences psychologiques qu’elle a subi. Nous sommes obligés de procéder par faisceau d’indices, la particularité de ces violences étant de se dérouler dans le huis clos familial. Il nous faut réunir les attestations de l’entourage qui a recueilli les confidences, qui a pu constater une détérioration de l’état de santé physique et/ou moral de la victime Il nous faut également des certificats médicaux, aussi bien pour la victime que pour les enfants. Et enfin, et surtout, il faut que la victime prenne suffisamment conscience de son statut de victime pour aller porter plainte.

C.D.D: Une étude du Centers for Disease Control and Prevention signale qu’aux Etats-Unis près d’une femme sur cinq a été violée au cours de sa vie, une femme sur quatre a été victime de violence physique sévère d’un partenaire intime et une femme sur six a connu un type de victimisation au cours de sa vie. Pensez-vous qu’il est possible que les Etats agissent de manière conjointe pour traiter ce problème, qui est présent dans les pays les plus développés comme les Etats-Unis? Que pensez-vous de l’initiative du Conseil de l’Europe, Organisation Internationale disposant d’une juridiction propre, en ce qui concerne la lutte contre ces mêmes violences ?

Maître Mellul-Frambourt: Je suis très au fait des actions du Conseil de l’Europe, pour lequel j’ai eu la chance d’être auditionnée. Il s’agit aujourd’hui de faire le lien entre l’éradication de la violence et le respect du principe d’égalité femme/homme. OUI, il faut faire le lien entre tous les organismes pour qu’enfin on affirme que les violences faites aux femmes consistent encore dans une volonté de domination de l’homme sur la femme. Et c’est là qu’intervient ma proposition que je soumets actuellement avant les Présidentielles d’inscrire dans le marbre de la Constitution le principe égalité femme/homme.

La violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes, ayant conduit à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur liberté.La violence à l’égard des femmes représente l’une des violations les plus graves des droits de la personne fondée sur le genre.Il est fondamental de reconnaître que la violence à l’égard des femmes viole gravement les droits humains des femmes.

Il faut absolument prendre lecture de la Convention du Conseil  de l’Europe de mai 2011 d’Istanbul, ratifiée par la France.

Pour aller plus loin :

- Site internet de Me Mellul-Frambourt, avocate à la Cour.
- Vidéo :  Yaël Mellul, Consacrer dans la Constitution le principe d'égalité Hommes/Femmes. Proposition aux candidats politiques pour l'élection présidentielle 2012.
-  Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (site internet du Conseil de l'Europe)
- Site internet de la Lutte contre les violences faites aux femmes, "Grande cause nationale 2010".
-  L'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff); 2000. 
-  Loi visant à protéger les victimes de violences psychologiques; site du Ministère de la Justice et des Libertés.
- Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants; site Legifrance. 
-  Circulaire du 3 août 2010 relative à la présentation des dispositions de droit pénal et de
procédure pénale de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites
spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces
dernières sur les enfants; Bulletin Officiel du ministère de la justice et des libertés.
-  " Une victimologue et un magistrat reviennent sur le texte"; site du Ministère de la Justice et des Libertés.
-  Articles 222-14-3 et 222-33-2-1 du Code Pénal.
- Compte rendu de la Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes du 13 mai 2009 ( audition de Me Mellul-Frambourt).
-  Proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, rapport du Sénat.
- Rapport n° 2293 de M. Guy Geoffroy
- Rapport d’information n° 1799, du 7 juillet 2009, "Violences faites aux femmes : mettre enfin un terme à l’inacceptable." ( Tome 1 et 2).
- " La VIOLENCE conjugale et sexuelle explose aux États-Unis".  (www.santelog.com)
- "The National Intimate Partner and Sexual Violence Survey: 2010 Summary Report"; National Center for Injury Prevention and Control et Centers for Disease Control and Prevention.( rapport en anglais).